Pourquoi une Alliance Migrations est-elle importante ?

 

 

Ce texte est la version traduite en français de l'article ¿Por qué es importante una Alianza para la Migración? de Paulo Illes* & Nathalie Pere-Marzano** publié sur le site MigraMundo le 21 octobre 2021.

 

En octobre 2019 au musée de l’Histoire de l’Immigration à Paris, plus de 200 représentants et représentantes de sociétés civiles et d’autorités locales de plusieurs régions du monde se sont réuni.e.s, à l’initiative de l’Organisation pour la Citoyenneté Universelle (O.C.U.) et de l’Association nationale des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA). Ils et elles se sont mises d’accord sur une charte de principes, qui a jeté les bases de la construction d’une Alliance pour une autre gouvernance des migrations. Le texte fondateur, qui contient 2 principes d’action et 8 propositions d’actions concrètes, est le résultat d’un vaste processus participatif entre tous les acteurs et actrices présent.e.s.

 

Photo : Fabiana Gama Pereira, Del'Agora/RSF

 

Deux ans après cette rencontre, la pandémie a mis en évidence les failles des systèmes d’accueil et d’intégration des personnes migrantes. A nouveau, les sociétés civiles se sont alliées aux gouvernements locaux témoignant d’une volonté de s’engager face au durcissement des restrictions imposées par les politiques nationales et internationales, dans le contexte de la pandémie.

Suivant les principes directeurs de l’Alliance Migrations, entre les mois de septembre 2020 et de mars 2021, 5 volontaires ont chacune étudié les politiques migratoires locales et les formes de collaboration entre autorités locales et acteurs de la société civile sur un territoire « accueillant ». Ce travail de terrain a été réalisé dans les villes de Barcelone, (Espagne), Lisbonne (Portugal), Palerme (Italie), Grenoble et Montreuil (France). Le travail collectif des volontaires a abouti à un socle commun structuré autour de 3 piliers :

  • Promouvoir une vision des migrations fondée sur l’interculturalité, pour la reconnaissance des droits de toutes et tous
  • Favoriser l’accès universel aux droits : un travail de collaboration transversal et pérenne entre acteurs locaux 
  • Rendre possible la participation politique et l’exercice de la citoyenneté des résident.e.s étranger.e.s

Cette étude collective a tout autant mis en évidence les limites que les opportunités pour une réponse globale aux enjeux auxquels font face les personnes exilées.

Le document de l’Alliance Migrations « Vers un socle commun des territoires » reconnaît les particularités géographiques, historiques, culturelles, institutionnelles et géopolitiques de chaque ville et souligne en même temps les points de rencontre entre ces territoires, en termes de politiques d’accueil et de partenariats entre autorités locales et sociétés civiles. L’un de ces points communs est l’existence d’un tissu social et associatif hétérogène engagé sur la question migratoire, composé principalement de collectifs de personnes migrantes, d’ONGs, de comités de soutien, de syndicats et de différents groupes de solidarité. Par ailleurs, les 5 municipalités ont adopté, à plusieurs reprises, une position engagée pour la reconnaissance des droits des personnes migrantes face aux politiques qui violent leurs droits fondamentaux.

Quelques exemples : En 2018, la Ville de Palerme a dénoncé et décidé de ne pas appliquer le décret Salvini, qui interdisait l’inclusion des demandeurs d’asile dans le système de prise en charge des bénéficiaires de protection internationale (SPRAR), limitant ainsi l’accès à leurs droits. Barcelone s’est déclarée ville-refuge en 2015 et s’est opposée à la politique migratoire du gouvernement espagnol, en mettant en œuvre divers programmes et politiques d’accueil et d’intégration, en plus de se prononcer publiquement contre la criminalisation des migrant.e.s et de celles et ceux qui les soutiennent. Montreuil s’implique, face à la logique de l’État, dans un soutien juridique et politique aux résident.e.s sans papiers. Grenoble s’est prononcée contre la politique migratoire de la France et contre la chasse aux migrant.e.s et aux personnes solidaires. En guise d’action symbolique, le maire a décerné en 2018 une médaille de la ville à Cédric Herrou, agriculteur français et militant pour les droits des personnes migrantes. Cédric est connu en France et à l’international, ayant été condamné à plusieurs reprises pour avoir aidé plus de 250 migrant.e.s à la frontière entre l’Italie et la France. Lisbonne revendique son interculturalité à travers son Conseil des migrant.e.s, et s’implique à travers la mise en œuvre d’un Plan municipal pour l’intégration des migrant.e.s, dans un contexte où l’État est davantage progressiste sur la question migratoire et proche des associations, y compris de celles issues de la migration.

En parallèle de l’Alliance, d’autres mobilisations importantes se sont mises en place au cours de ces deux dernières années. En Amérique latine, Red Sin Fronteras, membre de l’O.C.U. pour l’Amérique latine, a engagé la promotion d’un large dialogue pour l’échange d’expériences entre les villes latino-américaines. Le Forum Social des Amériques sur la Migration (FSAM) a permis des échanges entre São Paulo (Brésil), Montevideo (Uruguay) et Catamarca (Argentine), sur leurs pratiques et leurs apprentissages. Pour consolider et institutionnaliser sa politique locale, le maire de São Paulo, Fernando Haddad (PT), a initié en 2013 la loi municipale n° 16 478/16 qui suit une trajectoire de mise en œuvre avec l’installation du Conseil municipal des migrant.e.s, le Centre de référence à l’attention des migrant.e.s et l’approbation d’un Plan municipal pour l’intégration des migrant.e.s et la promotion du travail décent. À Montevideo, après un ensemble de demandes de la société civile, l’Intendance a créé le Secrétariat de l’équité raciale ethnique et des populations migrantes (SEERPM) en 2016, inscrivant ainsi l’attention portée aux personnes migrantes et aux populations autochtones comme axe transversal de ses politiques, et en mettant l’accent sur le genre, la vulnérabilité, les droits humains, les appartenances ethniques et raciales et les discriminations associées. Catamarca a participé à la FSAM en octobre 2020, présentant le Conseil municipal de l’immigrant de la municipalité de San Fernando del Valle de Catamarca, créé la même année par l’ordonnance municipale n° 7564/20. Son objectif est d’être un espace de consultation et de formation à la protection et à la défense des droits des migrant.e.s ; de promouvoir leur participation sociale et leur rôle en tant que sujets actifs dans le processus d’élaboration des politiques publiques.

À l’heure actuelle, des initiatives très importantes sont en cours. Au Brésil, des villes comme Diadema, Cuiabá et Recife élaborent des politiques alternatives. Diadema, située dans la région métropolitaine de São Paulo, avec une population de 430 000 habitants, se positionne comme une ville d’accueil pour les migrant.e.s, avec des initiatives visant leur inclusion dans les espaces de participation de la ville. Située dans la région nord du Brésil, dans l’État du Mato Grosso, Cuiabá est une ville d’environ 630 000 habitants. Actuellement, le Conseil municipal est sur le point d’approuver, à l’initiative de la société civile et des associations de migrant.e.s haïtien.ne.s, un projet de loi visant à créer et à institutionnaliser une politique locale en matière de migration. Recife, capitale du Pernambouc dans le nord-est du Brésil, avec une population de 1,6 million d’habitant.e.s, a construit un projet de loi inspiré du modèle de São Paulo, créant la base d’une politique municipale et établissant des principes pour l’action gouvernementale avec la participation de la société civile. Recife accueille des migrant.e.s vénézuélien.ne.s depuis 2018, dans le cadre du programme d’internalisation volontaire « Pana » (ami, dans la langue des peuples autochtones Warao). En Argentine, le Conseil municipal des immigrants local a récemment lancé le 1er recensement municipal des immigrants à San Fernando del Valle de Catamarca, capitale de la province de Catamarca, située dans la région nord-ouest du pays, avec des arrivées croissantes de migrant.e.s. À son tour, en septembre dernier, le gouverneur a annoncé l’ouverture de la délégation de la Direction nationale des migrations à Catamarca, réglant une dette historique avec les migrant.e.s, qui doivent se rendre dans la province de La Rioja pour effectuer leurs procédures d’immigration.

Ces exemples, parmi d’autres, montrent l’importance des processus participatifs et du travail conjoint entre la société civile et les gouvernements locaux. Les mouvements migratoires ne se sont pas arrêtés pendant la pandémie, bien que le slogan « je reste à la maison » ait été la phrase la plus répétée au cours de ces presque deux années de pandémie. Il convient de noter que les migrant.e.s en transit n’ont pas de « maison où rester », et sont contraint.e.s de faire face aux obstacles imposés par une politique méprisant les droits humains.

Nous constatons l’absence d’une politique d’accueil au niveau mondial, qui penserait l’intégration de manière globale, non seulement en termes d’assistance et de régularisation, mais aussi en termes d’accès aux droits fondamentaux : santé, travail décent et logement. Les gouvernements nationaux, dans leur gestion des migrations, répondent bien davantage à une politique de contrôle. Ce sont eux qui contrôlent les entrées et sorties des territoires nationaux, tandis que les Villes ne choisissent pas qui entre sur leur territoire et manquent d’information sur les nouveaux et nouvelles arrivant.e.s.

Les villes dotées d’une bonne politique d’accueil contribueront grandement au développement social, urbain et démocratique.

 

*Paulo Illes est représentant externe de l'OCU et membre de Red Sin Fronteras - RSF

**Nathalie Pere-Marzano est présidente de l'Organisation pour une Citoyenneté Universelle - OCU et déléguée générale d'Emmaüs International

 

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